Little Bob s’est livré sans concessions lors de cet entretien réalisé par Marie-France BOUCLY, à l’occasion de son concert à Cléon, « La Traverse », le 06 mai 2017.

Bonjour et merci de nous accorder cette interview pour Ride The Sky

– Quel regard portes tu sur ton parcours depuis tes débuts en 1963 avec ton premier groupe « The Apach’s ?

Je n’ai pas à me plaindre, car j’ai toujours fait ce que j’ai voulu et c’est rarissime. Après il y a des hauts et des bas. A certains moments tu gagnes de l’argent, et à d’autres, pas du tout ! J’étais encore amateur à l’époque des Apach’s, étant devenu pro beaucoup plus tard, à 30 ans. J’ai travaillé pendant 14 ans à l’usine, en tant qu’agent administratif aux Tréfileries du Havre. En fait je ne croyais pas en moi, étant un petit gros, myope et pas beau à regarder !

Les premières répétitions sous le nom Little Bob Story on eu lieu en1971. On a travaillé, et à partir de là, il faillait gagner sa vie ! Même si il y a eu des périodes plus difficiles que d’autres. Je m’en suis toujours sorti, soit en signant sur de gros labels comme RCA ou EMI, ou en étant indépendant sur les dernières parutions à partir de 2001 et la sortie de « Libero ». D’ailleurs cet album distribué par Dixie Frog, qui est un petit label, s’est retrouvé dans le film « Le Havre » avec Aki Kaurismäki. Et je suis toujours là aujourd’hui !
Nous allons signer prochainement chez un jeune label distribué par Warner, avec en prévision, la sortie d’un « Best Of » de Little Bob Story, live et studio, pour lesquels j’aurais sélectionné les titres. Il devrait être sur le marché en février 2018, et un nouvel album studio est en préparation qui devrait sortir 3 ou 4 mois après.

– Comment expliques tu que la popularité soit plus importante en Angleterre qu’en France ?

Cela n’a pas toujours été le cas ! Nous avons été « disque du mois » dans Best et Rock n Folk en 1977. C’est vrai que l’on faisait parler de nous en Angleterre, en étant « single of the week » dans le New Musical Express et le Melody Maker.

C’était différent, car on gagnait mieux notre vie en France qu’en Angleterre, ou il y a tellement de groupes avec une concurrence énorme. Mais nous étions acceptés comme un groupe anglais, et ça c’était grandiose ! Cela me faisait drôle d’être à Liverpool en 1978, et d’avoir à signer un article du New Musical Express nommé « This page smell of Gauloise » (cette page sent la Gauloise), avec le groupe Little Bob Story en photo. Toujours à Liverpool, dans la Beatles street, c’est étonnant de voir les momes te faire signer des pages d’hebdomadaires de Rock, mais en même temps, cela fait plaisir !

– Que représente pour toi la ville du Havre, et quel est le rapport entre cette atmosphère particulière et ta créativité ?

Je l’explique dans certaines de mes chansons comme « Sometimes I Feel » que l’on va jouer ce soir… J’avais 13 ans, c’était au mois de mars, en Italie j’avais le soleil.  Et là j’arrive, il y a du vent et de la pluie. Du coup j’étais triste, avec le cœur et les yeux qui pleuraient. Cela donnait l’image d’une ville dure, car à l’époque, voir les trains traverser les quartier ouvriers pour alimenter les usines en cuivre était spectaculaire. Cela m’a aidé pour écrire des morceaux comme « Light Of My Town » par exemple. Maintenant, la ville est plus joyeuse, mais il y a toujours les usines qui nous envoient un peu de pollution.
Le Havre exprime aussi l’envie de voyager, avec le port et la proximité de l’Angleterre. Nous n’avons pas hésité, dès que l’on a pu, à prendre le ferry pour aller jouer en Angleterre.
En général, tous les groupes du Havre comme City Kids, Bad Brains, Fixed Up sortis à cette époque étaient plutôt durs, punk ou Rock n’ Roll.
Le Havre nous a servi à avoir cette dureté dont nous avions besoin et à je suis toujours là plus de 40 ans après !
Mon père s’appelait Libero, c’est lui le « Libero » de la chanson dans laquelle je raconte sa vie.
A l’origine, c’était une famille de commerçants, qui a essayé de continuer suite au décès de mon grand père. Mais mon père n’avais pas le sens du commerce, préférant peindre, c’est son côté artiste, et jouer au football. Lui n’était pas libre, et comme je dis dans la chanson, « soit libre à ma place mon fils », et c’est ce que j’ai fait.
Pour revenir à cette ville, je voyais les ouvriers, comment c’était dur pour les gens.. C’était d’ailleurs la capitale communiste de l’Europe occidentale !

Le Havre c’était ça, les usines, cette ambiance dure, un peu froide, le brouillard et le gras sur les pavés !

 

– Beaucoup de groupes anglais sont arrivés au Havre pour faire leur première scène française…

Nous avons contribué à les faire venir ! Nous étions en première partie de Dr. Feelgood lors de leur première date en France. On a continué avec eux pour la date de Paris au Bataclan, mais leur tout premier concert français restera celui de la salle Franklin du Havre. Les Ramones ont également joué là, tout comme Eddie And The Hot Rods. Il y a eu Tyla Gang aussi, cela n’arrêtait pas, soit à la salle des fêtes de Graville, ou à la salle François 1er !

– Toujours à propos de la ville océane, as tu des titres, anciens ou récents, qui décrivent l’ambiance unique de ce lieu ?

« Lights Of My Town » est le plus connus, mais j’arrive à parler de la ville sur chaque album. Il y a aussi « Living In The Dock Land » sur « The Gift » sorti en 2005. En plus je vis dans le quartier qui était celui des dockers auparavant, dans une petite maison ou on est très bien. Elle est située dans une impasse au bout du quai de Saône, près du dernier bar des dockers, « Le Marie-Louise » qui a fermé récemment.

Little Bob Story – Le Havre 27 juillet 1978

– Quel est l’endroit au Havre qui t’inspire le plus et pourquoi ?

J’adore faire le tour des quais, d’ou l’on peut voir l’entrée du port. Même si le port aujourd’hui est excentré avec « port 2000 » qui accueille les immenses porte conteneurs. J’aime bien me balader là ou il y a les anciens entrepôts, ce qui était déjà le cas à l’époque de la « story » car nous étions tous du Havre.

– Au cours de ta riche carrière, quelles sont les rencontres qui t’ont le plus marquées ?

Il y en a eu tellement ! Eric Burdon bien sur, lorsqu’il est passé à l’Olympia. Il y a également Southside Johnny et Willy DeVille qui étaient des chanteurs exceptionnels. J’ai beaucoup aimé Springsteen à ses débuts, Bervely Jo Scott qui chante très très bien. Maintenant, c’est dommage qu’elle participe à « The Voice » en Belgique. Elle gagne plein de pognon mais elle fait moins de disques et de tournées !

Ah, Motörhead également, dès que j’ai rencontré Lemmy, nous sommes tout de suite devenus potes ! Tyla aussi, c’est un mec bien Sean Tyla. Je l’ai fait venir au Havre avec Ducks Deluxe, son premier groupe dans le style pub rock. Nous avions d’ailleurs joué en première partie lors de ce concert que nous avions organisé à François 1er.

 

– La prestation de Little Bob qui restera gravée à jamais dans tes mémoires ?

Il y en a plusieurs ! Dès le départ, on avait fait la tournée « Rock d’ici » avec Ange et l’ensemble des groupes de chez « Crypto ». Et nous étions les seuls à jouer du Rock n’ Roll ! Les autres, comme Mona Lisa, Tangerine, Guidon Edmond et Clafoutis s’inspiraient de Ange en beaucoup moins bien. Tous ces groupes jouaient avant nous et les gens dormaient par terre… Et on arrive sur scène: « Levez-vous bande de batards, Rock n’ Roll Bordel… » Et finalement, environ la moitié du public s’est levé et a dansé. Forcément, le public de Ange ne nous aimait pas. Mais comme leur manager, Jean Claude Pognant, était également le patron de Crypto, il tenait à ce que nous soyons là. C’est cette tournée qui a permis de nous faire connaitre, car elle est passée partout en France.

Sinon, le premier Olympia pour la sortie de « High Time », c’était quelque chose !
Le premier Marquee Club à Londres reste un grand souvenir. J’en était malade dans la journée, au point que je me suis retrouvé chez un médecin, à avoir une piqure pour me décontracter, prétextant que je n’avais plus de voix, alors que tout allait bien de ce côté là. Je n’en pouvais en sortant de scène, impossible de respirer ! C’était plein à craquer et il y avait 2 groupes anglais en première partie, The Count Bishops et The Rockets.

En 1978, nous avons fait le festival de Bilzen, situé près de la frontières Belge, Hollandaise et Allemande, avec un public qui venait de partout. On a remplacé Nazareth et il y avait 30 000 personnes à 5 heures de l’après midi ! Juste après nous, il y avait Blondie, et les Kinks en tête d’affiche !

Je me souviens quasiment de tous les concerts, les plus importants en tout cas !

– Est-ce pour toi un retour aux sources de t’exprimer dans un registre davantage orienté Blues avec Blues Bastards ?

Dès le premier album « High Time », sorti en 1976, il y avait « You’ll Be Mine », un morceau de Howlin’ Wolf. Ce Bluesman américain fait  partie de mes premiers achats de 33 tours ! D’ailleurs, les Stones, les Animals et tous ces groupes là s’inspirent beaucoup des bluesman tels que Muddy Waters, Robert Johnson… J’ai tout de suite aimé le Blues et la musique black. Le Rock n’ Roll que je préférais était celui de Little Richard d’abord, ensuite Chuck Berry et Buddy Guy. Même si j’aimais beaucoup Eddie Cochran, qui pour moi sonnait un peu comme un black.

Le Blues a toujours fait partie de ma vie, et là je trouvais que l’on tournait un peu en rond, avec l’envie de faire autre chose, même si il y a eu de superbes albums après la « Story », comme « Time To Blast » ou « The Gift » juste avant.

Et puis, j’avais envie de changer un peu, mais le Rock n’ Roll sera toujours là de toutes façons, tant que je pourrais ! Tu sais, je gagnerais mieux ma vie à me produire avec un pianiste et un contrebassiste, à chanter des ballades, un peu comme Tom Waits. Un groupe, c’est plus difficile à placer et plus cher à faire tourner. Mais c’est le pied, j’ai besoin de ça, d’être avec les potes, monter dans le camion et partir en tournée. Je suis heureux de vivre !

– Les compositions ont elles un fond autobiographique comme beaucoup de Bluesman ?

Oui forcément ! J’ai du mal à rester inerte face à tout ce qui se passe aujourd’hui, même si je n’ai pas envie de rappeler aux gens les mauvais moments de cette vie. Ils ont déjà la télé et les journaux pour se rendre compte du bordel qui existe ! Heureusement, quand on fait de la musique, on est un peu en dehors de tout ça. Et l’essentiel, lorsque le public vient nous voir, c’est qu’il reparte avec le sourire. Cela veut dire qu’il a été heureux pendant le temps du concert, qu’il a apprécié. C’est ça qui me rend heureux !

– Quelles sont tes écoutes favorites en ce moment ?

The Delta Saints sont très bons, avec un super chanteur. Il y a aussi les amis d’Imperial Crowns de Los Angeles, avec lesquels j’ai partagé la scène lors de leur passage récent à « La Traverse ». J’écoute toujours Tom Waits et son pote Chuck E. Weiss. Tu connais le morceau de Rickie Lee Jones « Chuck e’s in Love » ? C’est lui Chuck…

John Truddel, décédé il y a un an et demi, fait aussi partie de mes écoutes favorites. Je me demande si on ne vas pas reprendre un de ses titres sur le prochain album.
J’ai tellement écouté de musique américaine et anglaise… Les Pretenders sont une des meilleures formations anglaises et Chrissie Hynde fait swinguer sont groupe à l’américaine. Son origine doit y être pour quelque chose, puisqu’elle est née à Akron dans l’Ohio !

Et Dr. Feelgood ! Lee Brilleaux est né un 10 mai, comme moi. Eric Burdon est né le 11 mai, et je me sens très proche de ces gens là.

– Quel est ton avis sur le Blues en France, et quels artistes te font vibrer ?

Je suis difficile ! J’ai besoin qu’il y ai de la violence contenue, de la vraie vie. J’aime bien Benoit Blue Boy, en fait je les connais tous, ce sont des amis. Pour moi, le vrai blues en France c’est Jacques Brel. Il représente l’esprit du Blues.

Mais je ne vais pas rouler ma caisse bordel ! Je viens du rock et j’ai besoin qu’il y ait du « jus ».

Je sais qu’il y a plein de bon groupes en France, comme Mountain Men, Jesus Volt aussi, qui jouent cette musique là comme je l’entend.

– Paul Personne ?

Paul Personne est un ami, mais je ne vais pas dire que je vibre quand je l’écoute ! Il joue très bien, tout en préférant la période ou il chantait en anglais. Maintenant il a plus de succès en chantant en français ! On a tourné de nombreuses fois ensemble avec son groupe Bracos Band. Ils étaient dans le sud ouest, et s’appelaient La Folle Entreprise à leurs débuts ! C’est un mec bien Paulo !

– Pus généralement, Quel est ton point de vue sur l’industrie du disque actuelle et tes relations (si tu en as) avec elle ?

Le truc, c’est que l’on a permis le chargement gratuit des disques, ou pour presque rien ! Je suis fan du disque, avec une préférence pour le vinyle par rapport au CD. J’aime bien les pochettes, lire tout ce qu’il y a dessus, savoir qui joue sur tel ou tel morceau… Les gens écoutent un titre et ne connaissent pas le reste, alors qu’un artiste s’exprime sur la totalité d’un disque et pas juste un morceau. Après, je ne vais pas refaire le monde !

Je suis heureux sur la route comme chez moi. Mais quand je pense à ce qui se passe dans la musique, je ne peux pas être heureux !

– Revenons à Blues Bastards, quels sont les projets ?

Pour l’instant il y a le projet de sortir un « Best Of » de Little Bob Story, Blues Bastards n’étant pas la priorité. Il retracera la période située entre 1976 et 1988, de « High Time » à « Ringolevio ». Il y aura le DVD « Rockin’ Class Hero », plus un album live et un autre studio et j’espère qu’il y aura 2 vinyles, tout dépend de la maison de disques. Un nouvel enregistrement avec les Blues Bastards sortira quelques mois plus tard. Le « Best Of » est prévu pour février 2018 et le nouvel album aux alentours de mai 2018.

 

– Je te laisse le mot de la fin…

On ne m’a jamais demandé de sortir un album pour gagner de l’argent ensuite ! J’espérais en gagner un peu pour m’en sortir, et déjà rembourser tout ce que j’ai payé pour faire le disque, mais je n’ai jamais écrit une chanson pour gagner de l’argent, sinon je le saurais ! Je suis presque un peu confiné dans ce monde du Rock n’ Roll un peu à part, et j’ai réussi l’exploit d’être toujours là aujourd’hui. C’est presque un exploit, sans jamais avoir fait aucune concession ! J’ai toujours fait ce que j’ai voulu !

– Ce sera le mot de la fin !

J’ai de la chance, car il n’y a pas beaucoup de personnes qui font ce qu’elles veulent !

Nous tenons à remercier Kriss de Muzivox et Paul Moulènes ainsi que toute l’équipe de « La Traverse » pour nous avoir permis de réaliser ce reportage dans d’excellentes conditions.

Réalisation: Marie-France BOUCLY
Photos © 2017 Alain BOUCLY