Interview Christian Décamps – Ange @ Cléon « La Traverse » le 24 février 2018

Publié : 28 mai 2018 par Alain B. dans Interviews, Musique, News
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Interview de Christian Décamps, chanteur et leader charismatique de la formation d’origine du groupe Ange.
Entretien réalisé par Marie-France Boucly à Cléon « La Traverse  » le 24 février 2018

Bonjour Christian et merci d’accorder cet entretien pour Ride The Sky

– Le nouvel album intitulé « Heureux », sortira le 02 mars 2018. Peux-tu nous parler des conditions particulières de l’enregistrement ?

Il a été enregistré le 06 octobre 2017 à Sausheim, près de Mulhouse, dans une SMAC qui s’appelle l’espace Dollfus & Noack. C’est le nom d’une ancienne usine, dénommée à présent l’EDEN, ce qui correspond aux initiales.

Et puis nous avions décidé d’enregistrer devant un public, qui serait là comme témoin, à la différence de celui des concerts. Cela se passe dans une sorte de grande cabine studio dans laquelle peuvent être accueillies 600 personnes. Le studio était reconstitué sur la scène, pour y travailler dans le mêmes conditions, avec simplement des éclairages sommaires.

– Pourquoi avoir eu l’idée de faire ça ?

D’une manière générale, je trouve que le studio possède une certaine froideur. Les morceaux y sont joués bout par bout, avec la présence de 2 musiciens, puis 3 autres, sur des clicks… La beauté de la musique est là, mais il n’y a pas cette prise de risques, cette mise en danger liée aux gens qui regardent. Et l’on s’est dit, pourquoi pas avoir comme témoin des personnes que l’on favoriserait, avec 700 privilégiés ce jour là. Ils on été très respectueux, dès qu’il y avait la lumière rouge « On Air » lorsque nous étions entrain d’enregistrer. On entendait pas une mouche voler, et quand ça s’éteignait, ils applaudissaient chaleureusement. Cela s’est très bien passé pour la totalité de l’album qui a été enregistré dans ces conditions là.

– Le titre de l’album a t’il un rapport avec le contenu des textes et pour quelle raison l’avez vous choisi ?

L’idée remonte déjà à quelques temps, en lien avec du film « Amour », dans lequel on retrouve Emmanuelle Riva et Jean Louis Trintignant. (sorti en 2012 ndr) Lorsque ce dernier est monté sur la scène de Cannes pour recevoir le prix, il a cité ces mots de Prévert: « Si on essayait d’être heureux ne serait-ce que pour montrer l’exemple ». J’ai trouvé une profondeur extraordinaire dans ce texte, et je me suis dit, tiens, on va partir là dessus, heureux, pour aller dans tous les sens, sur des chemins complètement différents. Mais là où il y a toujours une lumière d’espoir et une envie de vivre, car la vie n’est en fait qu’une utopie. On ne se souvient pas de l’année de notre naissance, on ne se souvient pas de l’année de la mort, donc on existe pas. Donc nous sommes une utopie. C’est pour cela qu’il faut profiter, se créer des rêves et de l’imaginaire, en profitant au maximum de ce que nous donne la planète et la nature. La planète reste aussi une utopie, car on ne sait pas d’où elle vient. Le titre « Ce Que Murmurent Les Pierres », extrait du nouvel album, raconte que si les pierres pouvaient parler, il faudrait réécrire l’histoire. Tout cela crée le rêve et donne envie d’inventer d’autres choses, plutôt que de rester sur la même ligne ou la même voie comme dans la gare de Troyes. (rires) (référence à l’album « La Gare de Troyes » sorti en 1983 ndr)

– Avez vous prévu d’en jouer plusieurs extraits ce soir ?

Oui, nous allons en jouer 5, sur les 9 que contient l’album.

– Ange, comme Magma ou Little Bob, est l’un des rares groupes français qui a survécu à d’importants changements de musiciens. Pourrait-on imaginer que le groupe continue sans le capitaine charismatique que tu représentes?

Si je viens à disparaitre, il sont libres de poursuivre ou pas. Si Tristan, qui héritera du nom de Ange, a envie de continuer avec les autres, ou d’arrêter, c’est à eux de voir. Ange c’est avant tout un terrain de liberté, et un cri de liberté !

– Ange fêtera en 2019 ses 50 ans d’existence. Aurais-tu imaginé une telle longévité pour le groupe ?

Oui, je l’ai laissé venir dans mon inconscient. J’ai toujours vécu dans l’inconscient et je pense mourir dans l’inconscient ! (rires)

– Qu’est-ce qui peut expliquer cette carrière aussi riche, tout en démontrant toujours autant de passion et de créativité ?

C’est la passion ! Je reviens toujours à l’exemple de l’arbre avec ses racines, qui forcent le respect. Mais qui ne sont pas de la nostalgie, parce que la nostalgie pour moi est une souche d’arbre. Quand on a coupé l’arbre, on ne peut plus rien faire. La nostalgie est un fléau… Les gens: « Tu te rappelles, ah c’était le bon temps… » On va où ? Le bon temps, il est partout ! Je n’ai pas trouvé d’autre moyen pour vivre que de vieillir, et je conseille à tout le monde de le faire ! C’est ce que fait Ange. Pour répondre à ta question, on aime vieillir, donner et souffrir et jouir. C’est ça un artiste, la souffrance et la jouissance conjuguée.

– Que ressens le père en jouant avec son fils dans le même groupe en partageant la même scène ?

C’est un bonheur. C’est un pur bonheur ! J’ai la chance de travailler avec lui depuis pas mal d’années, plus de 25 ans maintenant, et c’est vraiment une superbe aventure et une belle histoire. En plus d’être mon fils, c’est surtout mon meilleur ami et mon confident. Mais dans le groupe, je ne fait pas différence avec les autres, qui sont aussi mes fils, mais spirituels. Il y a une filiation, d’où le nom à cette période charnière, qui a fait le lien entre les deux générations d’Ange, qui s’appelait Christian Décamps et Fils. C’est un peu comme une petite entreprise de plomberie / zinguerie, sauf que c’est de la musique ! Voilà, je te refile le tuyau, tu en fait ce que tu veux ! (rires)

– Ange a tourné avec Johnny Hallyday durant l’été 1972. Quel souvenir en gardes-tu ? As-tu un mot, une anecdote, un moment, une image, qui restera gravée ?

Excellent ! C’est un type avec qui on devient très vite ami. C’est un copain, vraiment, un gars formidable, surtout quand il n’était pas entouré de toute sa cour. Après, il faillait qu’il joue un rôle et il le faisait très bien.

Il y a tellement d’anecdotes… En voilà une, qui remonte à fin juillet 1972, lors d’une journée off de la tournée « Johnny Circus » à Port Barcarès. Nanette Workman, sa petite amie de l’époque avait soufflé l’idée d’organiser un immense méchoui où l’ensemble du personnel, (artistes, techniciens) ainsi que les monteurs du chapiteau, seraient conviés. Et c’est bien toi que j’ai vu ce jour là, en pleine après-midi, tournant la manivelle de la machine à découper les pâtes en fines lamelles. Tu t’amusais comme un gosse devant ta caravane. D’ailleurs à cette époque, nous étions tous des gosses bercés par l’insouciance, ivres de liberté…

Le 4 août, ton Circus était à Mont-de-Marsan. C’est là que j’ai appris la naissance de mon fils Tristan. Avant le spectacle, tu m’as félicité et tu nous a offert le champagne…
Certes, cette tournée se révéla être un fiasco financier, mais néanmoins ce fut la plus magique de toutes.
En 82, je t’ai revu au bras de Nathalie Baye à l’espace Gabriel. Tu m’as fait la bise : « Salut mon Ange ! Comment vas-tu ? Je te présente Nathalie ! » Emu, profondément touché, je ne m’en suis toujours pas remis…
Merci Monsieur Smet… Ange te doit beaucoup…

A présent tu vis dans un monde où le premier arrivé attend l’autre… A un de ces jours dans les étoiles.

– Comment expliques-tu le retour des fans de la première heure, notamment ceux qui ont contribué à la notoriété du groupe ?

Des fans de la première heure il y en a plein, car en général on joue 2 heures ! (rires)

Tous ceux des années 70, 80, 90, se sont mariés… Evidemment, ils sont solides, ce sont les racines et perpétuent la passion, et ça c’est important. Mais comme je te l’ai dit, je ne suis pas nostalgique, je hais la nostalgie ! Mais je respecte beaucoup les gens de la première heure, qui ont fait ce que nous sommes devenus, et qui nous permettent de continuer encore maintenant.

– As-tu gardé des contacts avec certains membres « historiques » de Ange, et suivi leur parcours depuis leur départ ?

Oui, mon frère (Christian Décamps ndr) a fait son groupe Gens De La Lune. Daniel Haas (bassiste de 1971 à 1977 et de 1988 à 1995 ndr) sera là lors du concert de Belfort. Je ne vois plus beaucoup Jean-Michel  Brézovar (guitariste de 70 à 77 – 88 / 89 et 91 / 95 ndr) qui était jardinier et maintenant en retraite dans le sud, mais je continue de communiquer en échangeant des petits mots par le biais du fanzine. Je parle avec pas mal d’entre eux, comme Guénolé Biger le batteur de l’album « Emile Jacotey » (en 1975 ndr).

– Quels sont les projets d’Ange après la tournée actuelle ?

Se reposer ! Nous allons terminer en 2020, après nous ne savons pas ! C’est le néant total, on verra bien !

– Je te laisse le mot de la fin :

Pour Ange, le mot de la fin c’est : Rien ne se mesure, tout se ressent !

Réalisation : Marie-France BOUCLY
Photos: © 2018 Alain BOUCLY