Se mettre à nu, tout débrancher et ne garder que l’essentiel : les chansons et mélodies. Beaucoup d’artistes metal l’on fait finalement, surtout depuis la mode des MTV Unplugged. On ne va pas citer de nom (ou à la rigueur Alice Nirvana mais là nous sommes plutôt dans le metal « chemise de bûcheron ») en exemple de réussite dans le domaine. Juste prétendre qu’un bon titre se joue aussi bien sur une guitare branchée à un Marshall que gratté sur une folk au coin du feu. Vous n’êtes pas convaincus ? Allez écouter la reprise du « Wasted Years » d’Iron Maiden par Ryan Adams par exemple alors…
Bref, tout cela pour dire que parfois nos chevelus ont besoin de s’exprimer autrement qu’en headbanguant sous des riffs bien gras.
C’est le cas de Dee Calhoun. Dee est surtout connu pour avoir été le dernier chanteur du groupe vétéran de doom metal (splitté depuis le décès, de complications liées à son diabète, du guitariste fondateur Alfred Morris III) Iron Man. Mais même s’il reste un metalhead invétéré, qui d’ailleurs tient le micro dorénavant chez Thee Iron Hand, Dee Calhoun vénère aussi Neil Young, Johnny Cash et Jim Croce.
Armé de sa guitare acoustique “Screaming Mad”, surnom qu’il a acquis alors qu’il débutait sa carrière comme bassiste, Dee Calhoun a donc enregistré un premier album Rotgut sorti en 2016 avant de livrer maintenant Go To The Devil. Un disque sur lequel il est accompagné de l’ex-bassiste d’Iron Man Louis Strachan qui l’a aussi suivi en tournée dernièrement.
Et autant l’avouer ce deuxième album solo est une agréable surprise si l’on aime les chansons folk ou country, la vraie et authentique, pas le truc sur lequel dansent des kékés coiffés de stetsons dans les rassemblements de tuning, non plutôt la « outlaw » à la Willie Nelson par exemple…
Dee Calhoun est non seulement un interprète de talent mais aussi un très bon compositeur qui sait s’exprimer sur des sujets divers.
Ainsi si vous aimez le registre country revendicatif « Born (One-Horse Town) » et « Common Enemy » par exemple feront votre bonheur. La voix puissante et rocailleuse de Calhoun rappelle, étrangement, celle de Russell Allen de Symphony X (mais c’est surtout à ses performances avec Adrenaline Mob auxquelles nous pensons) lorsqu’il part dans des envolées épiques sur ces morceaux.
Le chanteur sait aussi se faire plus introspectif, voire mélancolique, sur les crépusculaires « Bedevil Me » et « The Final Stand Of The Fallen » qui évoquent le Bruce Springsteen de Nebraska et de The Ghost Of Tom Joad. On pense aussi aux débuts solo de Mark Lanegan sur « The Lotus Field is Barren ».
Dee est un conteur qui aime nous embarquer dans ses histoires de rédemption ou de destins brisés comme sur la très bonne « Jesus, the Devil, the Deed », un récit de pacte démoniaque qui débouche sur une vie sauvée par Jésus qui a fini par donner au chanteur l’idée de développer la trame sous la forme d’une nouvelle. En effet, Dee Calhoun est à ses heures perdues écrivain, auteur d’un roman Tales of the Screaming and Mad, il anime aussi des lectures sur le site The H.P. Lovecraft Historical Society. Dans le registre narratif le bluesy « The Ballad Of The Dixon Bridge » avec sa comptine enfantine récitée sous bruit de pluie tombante se pose aussi ainsi que « Go To The Devil » qui semble narrer une rencontre avec le Malin.
Parfois, nous semblons entendre la volonté du chanteur de faire passer un message comme sur « Me Myself and I » au feeling assez rock’n’roll, « Dry Heaves & Needles » quant à elle dénonce les effets dévastateurs de l’héroïne dans son Maryland natal.
Cependant la chanson la plus poignante de Go The Devil reste « Your Face » qui est à l’origine un poème dédié à la petite fille de Dee Calhoun décédée à l’âge de trois ans. Un titre basé sur un texte que le chanteur avait écrit le matin des funérailles et qu’il a glissé dans le cercueil de son enfant et qu’il a enfin eu le courage d’enregistrer. Difficile de ne pas ressentir quelque chose en écoutant cette superbe ballade.
A noter enfin que musicalement, malgré leur aspect dépouillé, la plupart des chansons de Go To The Devil sont parfois traversées de discrets arrangements tels que des parties d’harmonica (ou de flûte sur « « The Final Stand Of The Fallen »), un enrobage qui apporte un plus aux compositions.
Si l’envie d’écouter une musique non amplifiée mais jouée avec « la volonté de mettre un peu d’attitude heavy metal » (pour reprendre les propos du chanteur) vous prend, vous pouvez jeter votre dévolu sur cet album. Cela fait au moins une bonne raison d’aller au Diable.
Liste des titres :
- « Common Enemy »
- « Bedevil Me »
- « Born (One-Horse Town) »
- « The Final Stand Of The Fallen »
- « Go To The Devil »
- « Me Myself and I »
- « The Lotus Field is Barren »
- « Jesus, the Devil, the Deed »
- « The Ballad Of The Dixon Bridge »
- « Your Face »
- « Dry Heaves & Needles »