Elle a une voix venue du pays du Cèdre, profonde, veloutée, faite d’un grain léger comme une caresse. Une Françoise Hardy portée par les vents de la Méditerranée. Quand le grand compositeur et producteur, Gabriel Yared, auteur de musiques de films comme « Le patient anglais », « Cold Mountain », « Juste la fin du monde », parmi tant d’autres, la rencontre, à Paris, en 2012, il est séduit par ce timbre au goût de miel.
Yara Lapidus, comme lui, est d’origine libanaise. Ces deux-là se sont « trouvés ». Ils sont tous les deux des exilés de l’âme, des nostalgiques d’un pays lumineux, meurtri par la guerre. Leur amitié trouve sa source dans les montagnes du Mont Liban. Ils sont tous les deux nés à Beyrouth. Lui a été le producteur de Michel Jonasz, de Françoise Hardy, pour ne citer que ces deux géants de la chanson française. Elle, a déjà vécu plusieurs vies. Styliste formée dans les grandes écoles de mode, à Paris, elle a travaillé chez Lapidus, puis pour la maison Balmain, où elle fut l’assistante d’Oscar de la Renta. Elle a lancé sa propre griffe, dont le modèle phare est une série de jeans customisés avec des broderies de l’époque Ming dégottées lors d’un voyage en Chine.
Durant cette période, elle sillonne Paris au volant d’une camionnette pour livrer elle-même ses créations dans les boutiques chics. La suite ? Elle tombe amoureuse d’Olivier Lapidus, l’épouse, tout en poursuivant son travail de créatrice aux côtés du grand couturier. Yara l’éclectique suit, dans le même temps, des cours de comédie chez Florent, chez Pygmalion, puis à l’Actor’s Studio. Elle se cherche. Actrice, créatrice de mode ? Elle assume sa polyvalence. Le destin aurait pu la conduire vers le 7ème art. Dans l’immeuble de Lapidus couture où elle travaille, se trouve le siège d’Art Media, l’agence qui truste toutes les stars du cinéma français. Un jour, Yara croise Dominique Besnehard, alors agent de Catherine Deneuve et de Sophie Marceau. Subjugué par sa voisine au physique proche de Monica Bellucci, il lui propose immédiatement de la recruter pour lancer sa carrière. Elle refuse poliment. Il insiste. En vain. La jeune femme a d’autres projets, des désirs d’enfant, elle aura deux filles avec Olivier Lapidus.
Puis en prépare un autre et présente quelques titres à Gabriel Yared qu’elle a croisé à Beyrouth, quelques années plus tôt. « Tu es trop noyée dans les instruments ! » juge-t-il, perfectionniste. Cette voix, il veut la porter aux nues, au plus beau sens du terme. L’entourer d’un écrin de sons aériens, pour que le « grain de Yara donne les plus beaux fruits ». Alors, il retrouve sa plume de compositeur de chansons, qu’il avait un peu délaissée pour les musiques de film. Il se lance dans une production de haut vol. Un projet fou. Yara est embarquée dans un voyage musical, dont il est le point de départ et elle, la destination. Deux années d’écriture suivis d’enregistrements dans les mythiques studios d’Abbey Road, à Londres. Une quarantaine de musiciens sont sollicités. Yared écrit des musiques pour la petite sœur libanaise, manieuse de mots. Il reprend aussi un thème composé pour le film culte « 37°2 le matin », trente ans plus tôt, succès mondial, à l’époque. Yara y ajoute ses mots. Résultat : un titre hypnotique, « Encor, encor », dans lequel le grand Yared s’aventure à un joli duo vocal avec la chanteuse.
Tout au long de cette aventure créative, Yara nous livre des textes ciselés, d’une sincérité touchante où la mélancolie est celle d’un paradis perdu : l’amour obsession, l’amour impasse, ou bonheur tumultueux ; avec toujours ce goût amer qui en est la signature. Yared n’en finit pas de fignoler les arrangements avec la minutie d’un horloger. Deux années qui aboutissent à l’album « Indéfiniment ». Mot énigmatique. Car il n’y a rien d’indéfini dans cette production, mais la précision méticuleuse et magique d’un artisan de la musique et du son, associée à une voix de sirène plongeant ses racines quelque part du côté de Tyr, petit port de pêche libanais traversé par les malheurs du temps. C’est là que Yara a passé son enfance. Yared, le pygmalion, n’a pas failli à son rôle d’alchimiste : le CD est un pur bijou.