Interview Ian Anderson – Jethro Tull @ Retro C Trop Festival 2016

Publié : 6 janvier 2017 par Alain B. dans Interviews, Musique
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Entretien & traduction: Sandrine CHATEL
Collaboration & photos live : © 2016 Alain BOUCLY

Avant de monter sur la scène du festival Retro C Trop à Tilloloy le 26 juin 2016, Ian Anderson, le charismatique fondateur du groupe Jethro Tull, a accepté de répondre aux questions de Ride The Sky.

– En 2018, Jethro Tull va fêter ses 50 ans de carrière. Pensais-tu atteindre cette longévité lorsque tu as commencé ?

Non mais je pense que lorsque l’on commence quelque chose comme ça on pense peut-être deux, trois ou quatre ans. Mais à partir de 1971 / 72, j’ai pensé que les choses se présentaient bien et que cela pouvait durer toute une vie. Et cela s’est passé comme ça, nous avons eu de la chance.

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– Qu’est-ce qui te motive pour continuer à monter sur scène ?

En fait je ne sors pas beaucoup de chez moi, donc quand je le fais j’aime avoir une bonne raison. Je fais à peu près 85 concerts par an, ce qui veut dire que je ne suis pas à la maison pendant presque la moitié de l’année. Mais j’ai une bonne raison : je vais travailler. Comme n’importe quel individu je dois travailler, payer les factures, nourrir ma femme et mes chats. C’est ma philosophie, je suis un travailleur. Et je suis un travailleur qui paye ses taxes. Je crois que la société doit être responsable et payer les taxes est quelque chose que j’aime faire. Beaucoup de gens que je connais n’aiment pas et essayent de trouver des moyens pour éviter ça, comme les sportifs, les acteurs, les musiciens, les hommes politiques. Mais pas moi, je paye les taxes que je dois.

– Tu as une énergie incroyable sur scène, quel est ton secret pour ça ?

Je mange mes épinards, tout simplement. Quand j’étais petit je regardais les dessins animés de Popeye et je voyais qu’il mangeait des épinards et qu’il devenait très fort. Alors j’ai demandé à ma mère si elle pouvait m’en préparer, elle m’a répondu que je n’aimerai pas parce que ce n’était pas bon et j’ai dit  »pourquoi ? Popeye aime bien ! ». Donc j’avais sûrement un peu plus de vingt ans la première fois que j’ai mangé des épinards, et j’aime beaucoup.

Depuis ce temps là je mange mes épinards, mes brocolis et mon chou, beaucoup de légumes verts et pas trop de viande. Je ne suis pas végétarien, j’aime juste manger des légumes. C’est là que je trouve l’énergie quand j’en ai besoin !

jethro-tull-tilloloy-26_06_16-16 jethro-tull-tilloloy-26_06_16-03– Tu touches plusieurs générations de public, comment expliques-tu son renouvellement au fil des années ?

Ils se lassent surement vite ! Ce n’est pas très surprenant, considérant le fait qu’en 50 ans de rock, il n’y a pas eu beaucoup de changement. C’est une forme de musique assez statique. Il y a peut-être eu deux ou trois révolutions dans la musique : en 1967 avec « The Piper at the Gates of Dawn » de Pink Floyd, et en 1968 l’arrivée de groupes comme Cream et les groupes de rock progressif au Royaume-Uni. C’était une révolution musicale, car les groupes sont devenus un peu plus sérieux, un peu plus inventifs et créatifs.
Et puis il y a eu une autre révolution, technique celle-ci, à la fin des années 1970. Surtout en 1981 / 82 quand la synthèse numérique est devenue possible et que les enregistreurs numériques, les séquenceurs et les ordinateurs ont commencé à vraiment être utilisés en musique. En 1984 / 85 c’était général et ça faisait partie du processus de création de la musique, surtout par les groupes de la nouvelle génération qui étaient principalement britanniques. Cette révolution technologique a changé le son de la musique, mais pas ce que la musique pop et rock était vraiment. En 50 ans elle n’a pas beaucoup changé.

Si on écoute des groupes contemporains comme Muse, on réalise que la musique n’est pas si différente de celle qui sortait au début des années 1970. Ce n’est pas la même chose, mais ce n’est pas très différent. Donc les gens doivent probablement se demander d’où vient la musique d’aujourd’hui, et s’ils sont curieux, ils vont écouter la musique que leurs parents et leurs grand parents écoutent. Ça ne veut pas dire qu’ils retournent en arrière mais plutôt qu’ils cherchent à être inspirés par ceux qui sont à l’origine de cette musique. Si quelqu’un est fan de jazz, il ne passera pas son temps à écouter des groupes de jazz contemporains. Il cherchera dans le passé et écoutera Charlie Parker, Ornette Coleman, Duke Ellington, Count Basie… là où tout a commencé, parce que ça fait partie de la compréhension de la musique. Et c’est pareil avec le rock.

– Comment choisis-tu les titres que vous jouez en concert ? Pourquoi privilégier un titre plutôt qu’un autre ?

Ça dépend du type de concert. J’ai une setlist différente pour un concert court en festival comme ici : je fais principalement des morceaux de Jethro Tull qui sont assez connus et qui montrent la diversité musicale du groupe, que ce soit musicalement ou par rapport aux textes. C’est un choix sérieux, avec des morceaux plus progressifs et d’autres très rock, peut-être quelques moments en acoustique, et d’autres pour montrer les différentes influences que j’ai eu au fil des années.
Par contre, si je fais un concert plus long et en salle, je choisis des titres plus variés. On ne veut pas trop réfléchir quand on joue devant un public de festival. Les gens sont là pour écouter du rock et au bout de trois heures ils en ont plein la tête, donc ça ne sert a rien d’essayer d’être judicieux.

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– Pourquoi as-tu abandonné la composition de concept-albums tels que « Passion Play » et « Thick as a Brick » ?

Je n’ai jamais vraiment abandonné, les deux derniers albums que j’ai produit sont des concept-albums. « Homo Eraticus » en 2014 et « Thick as a Brick 2 » en 2012 sont des concept-albums avec une histoire, une production élaborée, des vidéos et une tournée. Les dates que nous faisons après les festivals d’été sont une série de concerts qui font partie de cette production avec les écrans vidéo et d’autres musiciens. C’est quelque chose de bien plus conceptuel parce que nous racontons une histoire. Donc je n’ai pas abandonné, je le fais toujours, trop peut-être ! Entre temps nous faisons des concerts comme ici. C’est une expérience totalement différente : pas de soundcheck, quelques best-of sur scène et retour à la maison.

– Pour terminer, as-tu un message pour tes fans français ?

Je raconte des histoires, je ne passe pas de messages. Je donne une certaine vision des choses avec la musique et je pense que c’est mon travail en tant que musicien. Je ne dois pas dire aux gens quoi faire ou quoi penser. Mon travail est de donner une vision des choses un peu différente ou de faire réfléchir les gens sur certaines choses. Donc vous ne m’entendrez pas parler de sujets politiques. C’est assez pénible quand d’autres musiciens essayent de faire de la politique, ce n’est pas le travail des artistes ou des sportifs.
Je vois certains musiciens qui s’impliquent trop dans la politique avoir du mal à faire des concerts car les promoteurs s’intéressent davantage à leur activisme qu’à leur musique. Ça ne m’étonne pas, si on veut faire de la musique il faut se concentrer dessus, c’est tout. Donc mon message pour les français est de ne pas écouter les riches acteurs, sportifs, musiciens… qui vous disent pour qui voter. Ignorez-les, ils ne savent pas de quoi ils parlent la plupart du temps. Tout ce que je vais dire c’est :  »Votez ! Nous avons la chance de vivre dans des démocraties. C’est difficile de savoir quoi faire mais essayez de faire les meilleurs choix possibles, et n’écoutez pas ceux qui vous disent quoi faire ! ». Voilà mon seul message.

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Remerciements à l’organisation du Festival Retro C Trop (Ginger, Ludovic Bocquet) pour avoir rendu possible cet entretien.